


TIMBUKTU
Il y a quelques mois, nous avons été un grand nombre à aller voir au cinéma Timbuktu. Ce film raconte la vie des habitants de Tombouctou sous lʼemprise des djihadistes et comment leur vies en sont transformées. Une chape de plomb est tombée sur la ville, lʼobéissance aux lois djihadistes réprime tout élan vital. Sous ce joug, une femme semble conserver sa liberté. Elle est grande, ne porte pas la burqa au contraire, elle se pavane avec des habits colorés, des bijoux. Altière, indomptable, dʼune liberté si complète quʼelle devient insolente dans ces espaces subitement étriqués. Cʼest sans nul doute une prêtresse, une folle, une sorcière. La loi des hommes nʼest pas la sienne. Une scène mʼintéresse: son absolue liberté sanctuarise sa demeure. On voit alors sa maison sur le toit, ouverte au quatre vents, décorée. Il y a de tout, grigris, amulettes, pendentifs, un frigo qui, bien sur, ne marche pas, des cages pour un coq, un genre de sofa. Cʼest un endroit magique, inventif, propice à la rêverie. Lʼâme sʼy sent à son aise, prête à bondir vers ce qui lʼattire. La femme brise un miroir et clame “je suis fêlure”. Un djihadiste est présent aussi, cet homme qui oppresse ailleurs, qui ne craint pas dʼinterdire la musique, la danse, le chant... Ici, cet homme se met à danser. Elle le regarde retrouver son humanité, retrouver quelque chose qui le dépasse et le soutient, elle le regarde danser lʼenvol. Si cette scène mʼintéresse, cʼest quʼelle donne à voir ce que peut être notre façon dʼêtre en tant que thérapeute. Nous avons toujours beaucoup parlé de la nécessité dʼouvrir nos failles afin de permettre la rencontre avec celles de lʼautre. Mais ici, il sʼagit non pas dʼutiliser nos multiples béances, il sʼagit de les clamer hautement, fièrement, dʼune manière absolue. “Je suis la fêlure”, cette phrase assumée, ressentie devient la clé de ma liberté et par là de la liberté de lʼautre. Ceux qui entrent dans ce lieu ont toutes possibilités de se ressentir, tels quʼils sont et tels quʼils peuvent se laisser aller, imaginer, rêver dʼêtre, au gré du vent, de lʼhumanité profonde de ceux qui incarnent la fêlure et la proclame. Ce qui apparaît dans cette scène, cʼest quʼen tant quʼart thérapeute, nous avons à éclairer et à chérir notre folie et la porter hautement en prenant soin de se laisser guider par elle car elle est la garante, le socle de la libération de celui ou celle qui pousse notre porte. Une folie éclairée cʼest une folie prête à lʼemploi, disponible, loin de celle qui emprisonne et dont on ne peut sortir. Cʼest une folie qui touche à la fois à la solidarité, à la compassion et au désir. Se rencontrer là, à ce niveau cʼest se donner une liberté dʼêtre qui sʼétend des larmes au rire.
Sylvie Ugarte