DE L'INTUITION DE LA CLINIQUE A LA CONNAISSANCE DE LA THEORIE
Aujourd'hui, il serait impensable de nier la nécessité d'une articulation théorico-clinique en art-thérapie. Pourtant si nous ressentons le besoin d'en faire le sujet d'une table ronde c'est que, dans la pratique, ces deux notions ne s'articulent peut-être pas toujours. Il importe peut-être, pour pouvoir opérer cette articulation, de saisir là où ces concepts pourraient s'opposer ou se conflictualiser.
La Clinique en Art-thérapie est l'accompagnement pas à pas et au cas par cas d'un sujet dans son processus de transformation.
La Théorie est un ensemble de connaissances établies, permettant la généralisation de lois de causalité, et une prévisibilité de résultat quant à l'objet étudié.
La clinique ainsi définit ne peut être que singulière car elle implique le (ou les) patient(s) et l'art-thérapeute qui tout deux ont une singularité propre et le parcours thérapeutique ne pourra être que singulier.
Singularité qui s'oppose donc à la théorie qui généralise.
Selon le dictionnaire fondamental de la psychologie: "Il en va pour la clinique d'une investigation intuitive."
Elle s'oppose là aussi à la théorie comme acquisition de connaissances.
Soit d'une part, un mouvement qui partirait de soi (l'intuition), pour être amené au Monde, et d'autre part un mouvement qui viendrait du Monde (la théorie) pour être amené à soi.
Serait-il question dans l'articulation théorico-clinique d'une dialectique entre intuition et acquisition?
Imaginons deux personnes, que nous pourrions situer par leur manière d'appréhender le monde aux deux extrémités d'un axe allant de la connaissance intuitive au savoir par acquisitionthéorique. Dans un de ces extrêmes, se situerait une personne qui aurait une compréhension intuitive du monde. Tirant ainsi ses connaissances de l'observation et de son intuition, accessible à tous, elle penserait alors avoir peu de connaissances, puisque celles-ci lui viendraient d'elle-même. A l'inverse, dans un autre extrême, nous aurions une personne, couronnée de diplômes, qui brandirait le sceptre de ses connaissances comme la garantie de ses compétences. Mais ces savoirs ne lui venant pas d'elles-mêmes, sinon de références accumulées extérieures à elle, se présenteraient alors comme des vérités absolues qu'elle ne saurait remettre en cause.
Pour le Dr René Laforgue dans "Relativité de la réalité" – (ou - Réflexions sur les limites de la Pensée et la Genèse du Besoin de Causalité"- éditions Denoël - publié en 1937), il est question de libido. Ainsi, écrit-il: "1) Le Je de l'individu travail avec des quantités et des qualités de libido éminemment variables suivant qu'il dispose de plus ou moins de libido génitale, anale ou orale. 2) Sa conception de la réalité dépend de la prédominance de l'une ou de l'autre de ces formes..." (p.72) Ce sont donc pour lui ces prédominances génitale, anale ou orale qui donnent des teintes particulières à l'activité de l'intellect. Il décrit l'intellectuel qui aurait conservé une prédominance anale en ces termes: "Nous rencontrons souvent un type d'intellectuel studieux, véritable puits de science, qui accumule dans des fiches et des classeurs toute la science de l'antiquité jusqu'à nos jours. Ce type en impose par ce qu'il paraît avoir d'universel. Il s'attaque à toute les branches de la science et exhibe avec orgueil tout ce qu'il a réussit à faire entrer dans sa mémoire. De fait, cette mémoire paraît prodigieuse et semble justifier la fierté que son propriétaire en tire. Ceci reconnu, on est généralement frappé par les idées arrêtées et préconçues dont fait preuve cet homme [...] et finalement, derrière ce grand déploiement de science, et de paroles, on croit découvrir l'incapacité de l'individu à rien trouver par lui-même, une faiblesse qui le pousse à s'appuyer toujours sur des textes et sur autrui, une incapacité à faire la synthèse des choses". (p. 75) Ce besoin d'accumulation de savoir, tel des avoirs, masquerait-il un manque à être?
De l'intuition, René Laforgue nous dit " L'intuition est une façon inconsciente de percevoir les phénomènes de la réalité et d'établir des rapport avec eux sans que ce travail subisse le contrôle du conscient ou de l'intellect ni se fasse en collaboration avec lui. L'intellect trouve ce travail tout prêt, surgi, il ne sait comment, du néant, et il l'utilise. [...] l'intuition étant l'expression de l'activité de la composante génitale inconsciente de l'intellect."(p.78)
Heidegger dans "Etre et Temps" nous dit ceci de la connaissance et de l'intuition: "Quel qu'en soit le genre et par quelque moyen qu'une connaissance puisse se rapporter à des objets, celle par laquelle elle se rapporte immédiatement à ceux-ci [...]est l'intuition. L'idée d'intuitus commande, depuis le début de l'ontologie grec jusqu'à nos jours, toute interprétation de la connaissance."
Et Bela Grunberger nous parle des personnes douées d'intuition en écrivant dans son ouvrage "le narcissisme" (petite bibliothèque Payot en 1971 p. 220) "Même si nous admettons que la maîtrise de l'Inconscient jouxte l'illusion de la toute puissance narcissique et que la facilité de régresser à ce stade sur un certain mode et à s'y retrouver comme dans un domaine familier relève souvent d'une structure plus ou moins susceptible de régresser et aussi fragile devant certaines tâches pragmatiques que sensibles pour capter les messages provenant de l'Inconscient, il n'en résulte pas moins que les sujets de cette catégorie sont souvent d'excellant analystes. Ils s'apparentent d'ailleurs étrangement, quant à leur structure, aux poètes, artistes et savant-créateurs dont Freud appréciait déjà la connaissance intuitive de l'Inconscient et qui lui ont appris l'Inconscient, comme il le dit, plus que n'importe qui. Le bon analyste possède une réceptivité et une disponibilité spécifiques et si les lois régissant cette précieuse qualité sont encore plus ou moins inconnues, d'autant plus qu'elles échappent à notre système de référence habituelle, ceci "ne l'empêche pas d'exister". Il s'agit là d'un facteur dont on peut dire qu'il est essentiel pour exercer la psychanalyse.
Étant donné cette affinité entre la structure de l'analyste et celle de l'artiste, il faut s'attendre, bien entendu, à voir le don se manifester chez des individus très narcissiques et relativement peu "adaptés" et envers qui on aurait tort d'appliquer certaines exigences culturelles ou collectivistes surmoïques, ceci au nom de quelque idéal d'insertion social avec des diplômes ou autres preuves d'appartenance à une hiérarchie quelconque. Leur indépendance à cet égard constitue, en effet une garantie contre l'application de critères préétablis [...]"
L'année dernière, dans ce colloque, une personne a souligné le fait que le passage par l'université permettrait une garantie quant au sérieux de la formation de l'art-thérapeute en plus de permettre d'aboutir à la reconnaissance recherchée par notre profession.
Cette personne à raison, la reconnaissance passe par les diplômes d’État. C'est au diplôme et à l'acquisition des savoirs que l'on donne raison et pouvoir dans notre société. Mais ceci est-il compatible avec notre identité? L'art thérapeute ne se revendique-t-il pas artiste? C'est la nécessité de créer qui autorise l'artiste de lui-même. [...]
Rosario Orénès-Moulin
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